Exposition : HETEROTOPIA, Pauline Guerrier
L’art se manifeste en tant qu’hétérotopie : un espace conceptuel, tel que l’a théorisé Michel Foucault, où il naît, se crée, puis se révèle et se présente afin d’être à son tour appréhendé. De la cosa mentale à l’endroit tangible où il est exposé, l’art façonne à la fois l’espace mental et physique en des lieux propices à la narration, oscillant entre fiction et prise de conscience.
Avec l’exposition Heterotopia, Pauline Guerrier explore ces points de convergence où l’inspiration et le geste, la matière et son origine, la petite et la grande histoire se retrouvent encapsulés dans un lieu partagé : celui de l’œuvre d’art.
Aux confins de la peinture monumentale figurative et du bas-relief abstrait, ces tapisseries jettent le trouble. De l’échelle humaine à celle du lieu, elles révèlent autant de couches symboliques et ésotériques que de réalités. Elles naissent d’un simple brin de laine, soigneusement tondu sur l’animal, puis lavé, teint, tissé, brodé, avant d’être soumis une fois de plus à la tonte, dans un dernier geste de l’artiste. À travers cette matière, s’éveille également l’histoire d’une mémoire collective, tissée à l’ère des enjeux environnementaux et de la quête de paix. Cette épaisse toison colorée devient un miroir de notre lieu commun : elle se mue en une terre en jachère où pousse un arbre rutilant comme le phénix ; elle se métamorphose en un jardin aux résonances persanes, où l’oiseau rouge s’abreuve d’une eau guettée par l’œil du poison.
Rouge, bleu, jaune ; sang, pluie, feu. Les tapisseries de Pauline Guerrier se dressent comme des étendards de ralliement : le sol que nous foulons s’élève devant nous. Cette hétérotopie, ce « lieu autre », se révèle puissamment haptique. Elle suscite l’interdit, celui d’aller poser sa main sur l’œuvre pour ressentir la laine et ses entailles, de succomber à la même tentation originelle qui conduirait inévitablement à altérer la création de l’artiste.
Résister autrement, contempler, admirer ; découvrir les origines des dessins aquarellés sur ce papier hérité du grand-père de l’artiste ; transmettre à nouveau ce savoir ancestral de la marqueterie de fétus de paille ; et, peut-être, imaginer un autre lieu commun.
Anne-Laure Peressin